Après le best-seller « Eat : chroniques d’un fauve dans la jungle alimentaire », Gilles Lartigot nous propose une suite, chaudement sortie du cuiseur vapeur (et non du micro-ondes). Que vaut ce nouvel opus ?
La forme de Eat 2
Avant tout, je voulais parler de l’aspect global de cet ouvrage, autant au niveau du titre que de la mise en page, ce qu’on aperçoit en apparence. « Eat 2 : Des morts et des vivants », un titre autant intrigant qu’inquiétant. Cela dit, on commence à connaître le personnage, Gilles Lartigot ne fait pas dans la dentelle et ne tourne pas autour du pot.
Dans Eat et dans Eat 2, la priorité est l’information. Qu’elle soit facile ou difficile à entendre, elle est toujours décrite de manière objective et sans langue de bois. C’est ce qui fait véritablement la force de ces livres, et on le ressent immédiatement quand on découvre la couverture, le dos et la quatrième de couverture.
Gilles Lartigot a repris les codes de Eat. Son visage entier est présent sur la couverture, un visage à taille humaine. Mais il y a quand même une différence flagrante dans Eat 2 : le regard est porté en direction des mains qui sont jointes, le code couleur passe au noir et blanc. Le ton est donné : cette suite parait bien plus menaçante et mystérieuse.
Dans Eat, un couteau est présent devant le visage de Gilles Lartigot, et la lame de ce couteau brille quand on incline le livre. Une technique qui rend le couteau palpable et qui lui donne visuellement une grand importance selon l’angle avec lequel on regarde l’ouvrage.
Dans Eat 2, le couteau brillant est remplacé par une croix de couleur mate, qui vient s’insérer sur les yeux et qui apparaît comme tenue entre les deux mains jointes. Un procédé extrêmement puissant qui, associé à la bichromie noir + blanc, renforce le lien avec la mort évoqué dans le titre.
Enfin, dans Eat, le mot « Eat » était placé sur la bouche de Gilles Lartigot. On le retrouve ici en bas de la couverture, peut être pour faire comprendre que l’alimentation ne sera pas le seul sujet du livre. On le comprend aussi avec le choix du titre, on passe des « chroniques d’une fauve dans la jungle alimentaire » aux « chroniques d’une société toxique ». Le sujet passe du fauve à la société.
Quoi qu’il en soit, difficile de ne pas être tenté de découvrir le contenu de ces pages. On s’attend à du sombre, on s’attend à quelque chose de puissant. Fini les amuses gueules, passons au plat de résistance.
Le fond de Eat 2
Disons le tout de suite, la ressemblance avec Eat s’arrête ici. Gilles Lartigot ne nous a pas pondu une copie conforme. Le terme Eat est employé dans Eat 2, mais ici on avale la pilule d’une autre façon (sans mauvais jeu de mot sur les compléments alimentaires), en gardant bien sûr la trame principale de l’alimentation.
Après avoir principalement levé le voile sur la manière dont sont élevés et tués les animaux d’élevage et proposé des solutions pour retrouver une alimentation qualitative dans Eat, Gilles Lartigot accroche à son tableau de chasse l’industrie de la santé, en particulier les énormes conflits d’intérêts qui sont liés au cancer.
Les informations qui sont données dans ce passage sont tout simplement hallucinantes, autant au niveau des protocoles de dépistage que de la manière dont sont traités les cancers en France. Les plus grands tirent les ficelles, on s’en doutait. Mais dans l’industrie du cancer, les pantins ont un bandeau sur les yeux, dans le vide, et les ficelles sont des brindilles. Le lien est ensuite fait avec l’alimentation, qui va influencer positivement ou négativement l’apparition de la maladie.
Le cœur du livre reflète le thème de prédilection de Gilles Lartigot, l’alimentation. Un entretien avec le Dr Jérôme Bernard-Pellet permet de comprendre comment aborder une alimentation végétalienne et pourquoi les lobbys font en sorte de décrédibiliser la nourriture végétale. « Il y a une véritable volonté de nuire au soja avec les arguments les plus malhonnêtes. »
Il y a également une partie qui décrit ce dont a été témoin Geoffrey Le Guilcher dans son livre « Steak Machine ». Ce journaliste a passé 6 semaines en infiltration dans un abattoir et revient sur quelques unes des anecdotes les plus horribles auxquelles il a pu assister. Un passage dur à lire mais nécessaire.
Enfin, dernière grosse partie, la partie résilience. Gilles Lartigot est réaliste : « …Il n’est jamais aisé d’aller à contre-courant de la pensée dominante. » Je pense que cette partie est extrêmement importante pour lui et qu’il avait besoin d’en parler. On y apprend ici ce que veut dire le terme survivalisme, qui est trop souvent mal compris.
On pense au fait de s’enfermer dans un bunker avec des provisions en attente de la 3è guerre mondiale, alors qu’il s’agit plutôt d’indépendance, de reprise de pouvoir sur la société. Apprendre une langue étrangère, un second métier… Ces actions directes sont les conseils donnés par Vol West, un professionnel du survivalisme.
Au delà de l’indépendance physique (matérielle), Gilles Lartigot nous partage surtout comment acquérir de l’indépendance intellectuelle. Le fait d’ouvrir Eat 2 et de dévorer ses lignes en est l’exemple type : lire est un formidable moyen de s’instruire, de se construire un capital intellectuel sain et exempt de cette abondance d’informations futiles donnée par la télévision, de ces calories neuronales vides servies par les émissions d’aujourd’hui.
Eat 1 nous faisait part de la nourriture physique, Eat 2 ajoute la nourriture intellectuelle et émotionnelle (je me souviens que tu m’en avais parlé Gilles, ce concept m’est resté en tête).
Ce qui est important de comprendre dans Eat et Eat 2, c’est que Gilles Lartigot ne se positionne pas en tant que gourou. Il prend le soin (et le temps) de lire puis d’interviewer quelques-uns des meilleurs experts dans leurs domaines respectifs pour analyser la situation et faire le point. C’est pour cela que sa démarche est bien fondée. Il ne se contente pas de lire et de rassembler des informations, il confronte son esprit critique à celui des experts en allant lui même poser ses propres questions.
Le temps qui passe
Il y a une notion qui m’a particulièrement marqué dans Eat 2, c’est la prise de conscience du temps qui passe, le fait que dans notre société tout s’accélère. La vie est courte, mais peut passer encore plus rapidement si l’on appui plus ou moins fort sur l’accélérateur (en s’alimentant de la mauvaise façon et en passant son temps libre devant la télé, par exemple).
La chronologie de Eat 2 est particulière car elle est dans l’ordre dans le fond et inversée dans la forme. Dans le fond, c’est à dire dans le texte, on commence par la naissance et on termine par la mort. La première photo utilisée après l’introduction est celle d’un bébé qui vient de naître. La dernière photo utilisée est celle de Gilles Lartigot, de dos, dans une église, accompagné d’un texte post-mortem.
Dans la forme, c’est l’inverse, on commence par la mort et on termine par la vie. Derrière la couverture, le mot « MORT » apparaît en gros, avec en dessous les maillons d’une chaîne. A la fin du livre, on a l’opposé total pour ces deux éléments : le mot « VIVANT » et les clés pour se débarrasser de la chaîne du début du livre, cette chaîne avec laquelle nous emprisonne la société.
La chaîne, les clés. Le problème, les solutions. Entre les deux, la méthode. En résumé, « No pain, no gain » (pas d’efforts, pas de résultats). Le message est peut être le suivant : faire en sorte de partir en laissant de la vie derrière soi, en sortant de sa zone de confort pour trouver des solutions afin de faire prospérer l’indépendance physique et intellectuelle. Bien joué Gilles. J’ai de nouvelles questions à te poser.